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La danse des fakirs

 

Il était une fois, une belle plante, qui ne manquait pas de piquant ! Un peu bêcheuse, elle regardait les gens de haut, de toutes ses têtes, protégée derrière sa cuirasse d'épines comme derrière une armure. Pourtant, un peu comme le hérisson qui cherche à se faire des amis, elle déployait des trésors d'ingéniosité pour attirer tous ceux qui ne craignent pas de s'y poser. Surtout ne les appelez pas chardons, elles se vexeraient. Les cardères sauvages sont quand même des cousines éloignées des scabieuses et du chèvrefeuille.

 



 

Chacun de nous connait la silhouette de ces grandes dames élancées, avec leurs bouille piquantes qui lèvent les bras, victimes d'un hold-up permanent. Pourtant au printemps, alors qu'elles sont encore vertes, leurs têtes sont d'une douceur surprenante, osez les toucher vous serez surpris. Bien sûr ça ne dure pas. Elles agrémentent le bord des routes et des champs si elles ont la chance de pousser à l'écart des faucheuses et du museau des vaches et chacune d'entre elles est un vrai petit monde. 

La cardère est une plante bisannuelle. Sa graine germe au mois d'avril, elle déploie une belle rosette, une sorte de salade plate, grâce à laquelle elle capte les rayons du soleil, qu'elle transforme en chlorophylle et capte les nutriments grâce à sa racine, une carotte qui peut atteindre 70 à 75 cm de long. Sa 1ère année est principalement consacrée à l'éclosion de cette rosette, parfois avec une tige timide, mais guère plus. La 2ème année c'est le bouquet ! de la rosette toute pimpante émergent des tiges qui peuvent aller jusqu'à plus de 2 m de haut, agrémentées des têtes piquantes qu'on leur connaît. 

 




 

C'est donc la deuxième année, que la rosette ouvre son cœur, et déploie sa tige qui se balance dans le vent et cherche le soleil indispensable à son émergence. Toute une vie s'affaire autour de ses épines. Au printemps, des colonies de pucerons s'y installent pour déguster sa sève. Les pucerons sont un peu l'équivalent insecte des souris, tout en bas de l'échelle, même si les fourmis les défendent. Dans leur sillage, ils attirent une belle quantité de prédateurs. On pense forcément aux coccinelles dont les larves en sont encore plus gloutonnes que les adultes, mais d'autres insectes sont des prédateurs encore plus voraces comme les syrphes ou les chrysopes (ci-dessus à gauche). Les araignées crabes, le perce oreille (ci-dessous), certaines punaises et certaines mouches participent aussi au festin et bien sûr nos petits amis les téléphores. Toute une armée de gloutons se promène sur les planches à clous des cardères, comme des fakirs capables de danser sur les épines. On les appelle des aphidiphages (les mangeurs de pucerons), vous aurez appris un mot savant, mais pas facile à caser dans une conversation.

 



 

Les coccinelles traversent les passages cloutés sans hésitation, et sans regarder à droite ni à gauche, leur seul intérêt est le puceron le plus proche et leur seule contrariété les fourmis qui leur barrent le passage et souvent arrivent à leur fin. Mais elles savent contourner le problème pour mieux attaquer le puceron un peu plus bas ! La vie de la cardère est très animée et pleine de surprises...

 




 

La punaise (ci-dessous) semble plus douillette. Elle avançait précautionneusement sur les épines en sautillant et en voletant doucement, avec de petits sursauts. J'avais presque l'impression de l'entendre à chaque pas : aïe, ouille, ça pique !... Ca m'a permis de voir ses jolies ailes rouges.

Le long de la tige de la cardère, les feuilles s'alignent 2 par 2, face à face. Elles se rejoignent à leur base et forment une petite coupe où stagne l'eau de pluie. Les petits oiseaux et les insectes viennent y boire. Les cardères y ont gagné un surnom : le cabaret aux oiseaux, et plein de petits amis.

 




 

A partir du mois de juin, de petites fleurs roses lilas commencent à apparaître sur les têtes. La floraison commence vers le milieu de la tête puis les premières fleurs tombent et les suivantes poussent au-dessus et au-dessous et donnent souvent place à 2 couronnes, une qui monte et une qui descend. Chaque mini-fleur ne vit qu'une journée, mais dans chaque trou, la graine est semée, il ne lui reste qu'à grossir dans le soleil du mois d'août.

Avec les fleurs, le buffet des insectes est ouvert. Cet étalement de la floraison leur permet d'en profiter plus longtemps et donne plus de chance aux fleurs d'être pollinisées, chacun y trouve son compte. Ils vont chercher le nectar au creux de chaque petite fleur. Les insectes munis d'une trompe sont privilégiés, comme les papillons, les abeilles, les bourdons qui peuvent aller chercher leur pitance au fond de chaque fleur. Comme souvent avec les fleurs, c'est donnant donnant, à chaque gorgée, les insectes se nappent de pollen qu'ils vont déposer un peu plus loin sur une fleur voisine.

 



 

Aux portes de l'automne, quand les graines gorgées de soleil sont juste à point, c'est au tour des chardonnerets, mésanges, linottes, et autres chapardeurs de profiter des bienfaits de la cardère. Ils se ruent sur cette nourriture très riche. Les graines peuvent contenir jusqu'à 22% d'huile, une aubaine pour les oiseaux au moment où les fruits de l'été ont déjà en grande partie disparus.

Puis les têtes des cardères sèchent et laissent tomber les graines rescapées, après que les feuilles de leurs rosettes aient aussi séché en se recroquevillant et laissé au sol une belle place désherbée, un beau jardin pour les futures graines.

Alors inutiles les cardères ?

 




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