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L'Ascalaphe soufré


 

Il était une fois, un papillon qui n'était pas un papillon ou une libellule qui n'était pas une libellule. Un drôle d'insecte qui virevolte au-dessus des prairies d'herbes sèches, calcaires, bien exposées au soleil, en batifolant d'une tige à une autre, ou plutôt en zigzaguant dans tous les sens sauf en ligne droite, comme s'il avait abusé de sa dose d'hydromel. Sauf que l'hydromel, le miel, ou même le pollen, il s'en fiche pas mal. L'ascalaphe n'est pas un butineur, contrairement à ce que sa silhouette en forme de papillon pourrait nous faire croire.

 


 

C'est un insecte d'une famille à part : les névroptères, qui comprend les chrysopes, les fourmillions et les ascalaphes qui ont en commun de replier leurs ailes en toit au repos (comme les cigales) et d'avoir de charmantes larves qui nichent dans le sol, après une ponte déposée sur des tiges d'herbes hautes, contrairement aux libellules qui pondent dans l'eau et dont les larves se développent ensuite dans l'eau (où elles mangent des larves de moustiques entre autres... braves bêtes...). La larve grossit pendant 2 ans puis se transforme en imago pour vivre sa vie d'adulte quelques semaines, comme la libellule.

 

 

L'ascalaphe est un territorial. Pour pouvoir le photographier il faut donc repérer au préalable son champ de prédilection et ensuite se lever tôt, pour pouvoir lui tirer le portrait tant qu'il est encore engourdi par la nuit. Il aime dormir sur les tiges des graminées et c'est là qu'on le retrouve au petit matin. Ceci dit, des graminées il y en a quelques unes dans un champ, bien plus que d'ascalaphes ! il faut donc parfois chercher un moment avant de le voir. Pour ma part, je me place à contre-jour, le soleil rasant permet de voir ses ailes briller dans le soleil et avec l'habitude, on le repère un peu plus vite, alors que lui doit vous regarder tourner depuis un bon moment en riant sous cape, enfin sous l'aile ! mais comme il est bien élevé, il le fait discrètement.

 

 

Lorsque vous le repérez enfin, il semble vous observer de ses gros yeux ronds mais on ne sait pas trop s'il dort, ou s'il est pétrifié par cet humain au long nez qui tourne autour de lui avec une démarche de grenouille des champs mal fagotée. Parfois il a le même réflexe que les écureuils qui tournent autour de leur tronc en même temps que le photographe. Heureusement la tige est moins large qu'un tronc, mais souvent il vaut mieux le laisser un instant pour pouvoir revenir lui tirer son plus beau profil sans qu'il ne s'envole. Il faut juste penser à prendre quelques repères pour pouvoir le retrouver ensuite.

 


 

L'ascalaphe trompe bien son monde, même s'il n'en a pas... de trompe. Il n'a pas non plus de petites valises sur les cuisses pour stocker sa poudre jaune comme les abeilles, car l'ascalaphe est un insectivore. Comme les libellules, il chasse en vol, ce qui explique les zigzags imprévisibles et plutôt agaçants pour un photographe qui comprend vite une chose : quand l'ascalaphe a décollé, il peut retourner se coucher ! Heureusement, il n'est pas le premier de la prairie à décoller, souvent les papillons batifolent déjà quand il s'arrache à sa tige oreiller comme pour laisser un petit sursis au photographe. Au début il est encore hésitant, un peu lent même, il se contente de se reposer un peu plus loin, comme pour laisser un dernier espoir au photographe, cet éternel optimiste.

 


 

Les ascalaphes disposent aussi d'une belle paire d'antennes à massue, c'est à dire avec une boule au bout, mais elle ne sert pas à assommer ses proies, par contre c'est très joli sur les photos. Les ascalaphes les plus courants sont l'ascalaphe soufré et l'ascalaphe commun qui ont comme différence une tite tâche noire en forme de croissant à la base de l'aile, pour l'instant, je n'ai pu voir que le soufré qui est sur toutes les photos de cette page. On a davantage de chances de voir les autres, en allant plus au sud et notamment dans le sud-est, onze espèces sont présentes en France sur les 300 qui existent dans le monde.

 


 

Leurs ailes nervurées ont la transparence de celles des libellules, ce qui leur a valu de figurer longtemps dans la famille des libellules (leur nom latin : libelloides coccajus, en porte encore la marque). Parfois on entend cette sorte de froissement de papier qu'elles produisent mais c'est très fugace, on l'entend davantage avec les libellules, surtout quand elles se bagarrent pour leur territoire.

 

 

Contrairement aux libellules, les ascalaphes ne se posent pas à l'affut sur une branchouille ou un roseau bien placé, pour chasser le moucheron ou le petit insecte qui passerait par là par mégarde. Quand vous photographiez la libellule c'est bien pratique, vous repérez le perchoir et vous vous posez à côté en attendant qu'elle revienne avec son butin.

L'ascalaphe lui, chasse en vol en décrivant de larges zigzags. Inutile de l'attendre, il ne reviendra pas. Au fur et à mesure que la chaleur s'élève il prend de l'assurance et se pose de moins en moins. Au-delà de 30° il est dans le bain, comme un poisson dans l'eau ! ses changements de direction deviennent fulgurants et sa distance de fuite dépasse 5 mètres, il devient même difficile de les suivre des yeux. C'est le moment de ranger son boitier et d'aller décharger la carte mémoire, au frais.

 

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Commentaires: 7
  • #1

    Gérard Clerc (jeudi, 30 juillet 2020 16:10)

    Extraordinaires les photos et le commentaire très documenté. Bravo ! Mais comment tu fais pour savoir toutes ces choses et photographier toutes ces belles petites bêtes ? J'en reste pantois (ou baba, si tu préfères) !

  • #2

    Josette Pons (jeudi, 30 juillet 2020 16:50)

    Magnifiques photos. Bravo.�

  • #3

    Babouegg (jeudi, 30 juillet 2020 19:18)

    Tu as là une belle collection d’ascalaphes....les unes plus belles que les autres....mais ma préférence va à la dernière....une petite merveille.
    Merci Monique pour toutes tes astuces de photographe expérimentée....je vais essayer de les mettre en pratique car jusqu’à présent j’avais beaucoup de mal pour sortir un cliché convenable.
    À bientôt
    Amicalement

  • #4

    Cathy F. (vendredi, 31 juillet 2020 09:22)

    Superbe documentaire, photos et texte sont de très haute qualité. Il faut être une vraie passionnée pour arriver à ce résultat ! Bravo, bravo, bravo !!!!

  • #5

    Vfailly (dimanche, 02 août 2020 14:40)

    Alors là, bravo! Autant pour les photos que pour le texte!!! C'est un régal.

  • #6

    Gérald (lundi, 03 août 2020 07:41)

    ton talent se révèle de jours en jours, bravo

  • #7

    Ludmila (lundi, 10 juillet 2023 09:10)

    Merci pour ce magnifique portrait de cet insecte captivant, qui me captive depuis cette année.
    Je suis dans les Alpes de haute Provence et depuis mai j'en rencontre, leur présence est courte dans une prairie donnée mais si on monte en altitude, ils sont présents jusqu'au mois de juillet à 1600m
    Encore admirés pas plus tard qu'hier.
    Leur technique de vole est clairement très aboutie, d'une précision rarement vue pour un insecte de cette taille.
    Leur beauté complexe attire et vous l'avez sublimé à chacune de vos prises.